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#3 : Un téléphone évolutif

Roi des objets, indispensable à notre quotidien, le téléphone portable pourrait a priori prétendre à un bon bilan écologique : ne rassemble-t-il pas, dans un seul et même objet, téléphone, cartes, dictionnaire, appareil photo, agenda, radio et bien d’autres objets aujourd’hui quasiment disparus de notre vie quotidienne ? Comme d’habitude, la réalité est un peu plus compliquée.

Avec 2,4 milliards de téléphones portables actuellement en circulation, et sans compter ceux produits dans le passé et tous ceux à venir, nos portables affichent une empreinte environnementale et sociale désastreuse. Pour le comprendre, un petit voyage s’impose.

Direction l’Afrique, pour commencer : c’est là que se trouvent certains des minerais nécessaires à la fabrication de nos amis. On s’en doute, les conditions de travail dans ces mines n’ont pas reçu la norme ISO 14 000, comme le rapporte un rapport d' Amnesty International.

L'émission d'Arte Le Dessous des cartes a consacré deux épisodes de dix minutes pour mieux comprendre ce qui se cache derrière la fabrication de nos téléphones, et, sans surprise, ce n'est pas très joli. Pour les amateurs de Cash Investigation, Élise Lucet et son équipe ont également mené l'enquête.

Au même moment, en Europe de l’Est et en Asie, sont fabriqués les pièces destinées à être assemblées par la suite en Chine. Et quoi de mieux que de petites mains pour ce travail de précision ? Les enfants de moins de 16 ans sont ainsi légion parmi les ouvriers en charge de l'assemblage.

La fabrication et la livraison de nos téléphones intelligents émettent par ailleurs énormément de gaz à effet de serre : entre 65 et 95 kg. Une fois dans nos mains, nous continuons d’aggraver ce bilan, puisqu’il faut bien recharger son téléphone. Or, dans la plupart des pays du monde, l’énergie est générée en brûlant du pétrole, du gaz ou du charbon.

Après deux ans de vie (moyenne d’utilisation actuelle), les smartphones ne sont recyclés qu’à hauteur de 16%. Bourrés de produits toxiques, ils engendrent déchets et pollution des sols.

Qu'est-ce qu'on fait ?

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Face à ce tableau peu reluisant, heureusement les solutions existent :

  • Garder son téléphone actuel le plus longtemps possible : acheter un nouvel appareil équivaut  à une consommation d’énergie égale à l’usage d’un téléphone existant pendant 10 ans.
     
  • Refusez d’acheter neuf et optez pour le reconditionné grâce aux sites Remade, Label-Emmaus ou Back Market : des appareils d’occasion reconditionnés en usine et garantis. Rien de plus écologique que de consommer ce qui existe déjà, non ? Le site Volpy propose la même chose, en plus de reprendre les vieux téléphones.
     
  • Vous voulez à tout prix du neuf ? Investissez dans un Fair Phone, le premier smartphone éthique. En plus de garantir des conditions de fabrication humaines et écologiques, le Fairphone est conçu pour être facilement réparable, et donc pour durer plus longtemps. Orange le propose dans ses abonnements, et la coopérative Commown le loue pour 20 euros par mois. Seul, il coûte 450 euros. Cher, mais à comparer avec le iPhone 11 ou le Samsung S10 dont les prix sont deux fois plus élevés...Autre option : choisir son nouveau téléphone en fonction de son niveau de réparabilité. Le classement, c'est par ici !
     
  • Bien sûr, n’oubliez pas de donner une fin de vie digne à votre vieux portable : le site ecosystem.eco  vous permet de trouver le point de collecte le plus proche de chez vous, sinon vous pouvez toujours en faire don à Emmaüs, le réseau Envie ou les ressourceries qui ont mis en place des filières de recyclage des appareils électroniques.
     
  • Votre vieux portable fonctionne toujours ? Faites-en don sur le site jedonne.fr, donnons.org ou le réseau social Indigo.

Et si on réfléchissait deux minutes ?

Que nos téléphones nous rendent de multiples et précieux services, nous sommes d’accord. Mais en quoi est-il nécessaire de les remplacer tous les deux ans, durée de vie moyenne actuelle? Au lieu de changer le téléphone entier, ne pourrions-nous pas simplement modifier les quelques rares pièces qui évoluent d’un modèle à l’autre, comme la puce ou la caméra ? C’est exactement le principe d’un FairPhone ou du Motorola Z. Probablement rien d’insurmontable donc pour des géants technologiques tels que Samsung, Google ou Apple.

Si une petite start-up est capable de concevoir un téléphone éthique, durable et réparable, pourquoi pas des mastodontes comme Apple, Samsung ou Google ? Surtout quand on sait qu'Apple disposait en 2019 de 267 milliards de dollars de trésorerie, dont la majorité placée dans des comptes offshore, comme le rapporte Le Figaro.

Autre piste possible : passer de la logique d’achat à une logique d’usage, grâce à un abonnement, à l’instar de ce qui est arrivé dans l’industrie de la vidéo et de la musique. Spotify, Deezer et consorts ne vendent plus de CD, mais un service d’écoute. Au lieu de vendre des téléphones, les fabricants vendraient simplement le service de communication, matériel inclus. lls auraient ainsi tout intérêt à concevoir des téléphones durables et modulables. Cela vous paraît utopique ? C’est pourtant ce qu’a fait, dans son secteur, la société Xerox, qui a décidé d’arrêter de vendre des imprimantes aux entreprises pour leur vendre le service d’impression. À cet effet, les machines ont été conçues pour être plus robustes et facilement réparables, afin d'éviter les appels au service client.

Mais alors pourquoi cela n’a t-il pas encore été fait ? Si le modèle d’abonnement est rentable, il lui est difficile de rivaliser avec la vente de nouveaux téléphones chaque année, bien plus lucrative. Avec un iPhone 10 qui se vend 1 000 dollars, Apple engrange déjà entre 400 et 500 dollars par appareil (probablement plus). Obtenir 400-500 dollars de profit en abonnement est beaucoup plus compliqué...

En bref : le profit avant la planète. Mais Apple et Cie feraient bien de se rappeler ce qui est arrivé aux compagnies qui s’accrochent à leurs marges et freinent le changement. Le patron d’Universal a dû bien rire quand on lui a parlé de Deezer ou de Spotify, et on le comprend : proposer un catalogue entier de musique à 10 euros mensuels alors qu’on peut vendre un seul CD à 20 euros pièce, il aurait fallu être fou pour accepter. On connaît la suite : les gens aujourd’hui écoutent massivement la musique en streaming, et les majors de musique ont dû se réinventer pour ne pas disparaître.

En attendant donc qu’un nouvel acteur vienne donner un bon coup de pied dans ce marché bien fermé, ou que les gouvernements décident enfin de légiférer dans le sens la planète et des êtres humains, à nous d’agir : acheter moins de téléphones, privilégier l’occasion ou acheter éthique quand c’est possible !

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